Télétravailler à l’étranger

Risques fiscaux et juridiques

Charlotte Van Braeckel, Senior Consultant BDO Legal, Nancy Slegers, Partner BDO Tax

Télétravailler à l’étranger est de plus en plus fréquent. Êtes-vous suffisamment au courant des règles relatives à cette pratique ? Règlementation, risques pour l’employeur ou le travailleur, impact sur le plan fiscal, juridique et social… Explications.

Qui dit monde globalisé dit nombre de personnes plus élevé vivant et travaillant dans des pays différents. La pandémie de Covid-19 a forcé les employeurs et salariés à réorganiser leur travail. Le télétravail est devenu une valeur sûre. Alors que la crise sanitaire semble être davantage sous contrôle, on constate une augmentation de la demande d’intégrer structurellement le télétravail à l’étranger. Pourquoi pas ? Mais attention : ne prenez pas la chose à la légère.

Ce mode de travail délocalisé peut en effet avoir des conséquences sur différents plans : droit du travail, sécurité sociale, fiscalité, immigration ou formalités administratives.

Que dit le droit du travail ?

Accord de l’employeur

En tant qu’employeur, vous devez donner votre accord sur le principe du télétravail à l’étranger et le lieu où il s’effectuera. Le télétravail structurel (c.-à-d. non occasionnel) signifie que le collaborateur travaille régulièrement à son domicile ou à un endroit choisi par lui en dehors du lieu de travail habituel, en utilisant les technologies de l’information. Si les deux parties s’entendent sur ce type de télétravail, elles doivent idéalement fixer un certain nombre d’éléments dans un document écrit qui constituera une annexe au contrat de travail.

Droit applicable

En principe, les parties peuvent choisir librement le droit du travail applicable à leur contrat (annexes comprises). Ce choix ne peut cependant pas avoir pour effet de priver le collaborateur de la protection dont il bénéficie en vertu des dispositions impératives de la loi du pays où il télétravaille.

Si aucun droit applicable n’est choisi, c’est le droit du pays d’emploi habituel qui s’applique. Si le collaborateur ne travaille pas toujours dans le même pays (parce qu’il fait régulièrement du télétravail à l’étranger), c’est la loi du pays où l’entreprise de l’employeur est établie qui s’applique.

« Quelle sécurité sociale appliquer ? Comment éviter que le collaborateur soit doublement taxé ? Qu’en est-il de l’assurance accidents du travail ? »

Quid de la sécurité sociale ?

Lorsqu’un collaborateur télétravaille dans plusieurs pays (on parle alors d’« occupation simultanée »), la sécurité sociale applicable dépend de différents facteurs et doit être examinée au cas par cas.

Télétravail dans l’UE

Dans des circonstances normales et pour autant que le travail ait lieu dans l’UE, le collaborateur est soumis à la sécurité sociale dans un seul État membre, à savoir celui de l’État d’emploi. Deux exceptions à ce principe sont permises par quelques États membres : l’une liée au détachement, l’autre à l’occupation simultanée.

Si un collaborateur alterne travail en Belgique et télétravail depuis son lieu de résidence dans un autre État membre, ce sont les règles relatives à l’occupation simultanée dans plusieurs États membres qui sont de vigueur. Le principe de base est le suivant : le collaborateur est soumis à la sécurité sociale du pays de résidence s’il y travaille au moins 25% de son temps. Dans le cas contraire, c’est la sécurité sociale de l’État membre où son employeur est établi qui s’applique.

Un de vos collaborateurs réside à l’étranger ? Le télétravail partiel dans son pays de résidence peut avoir un impact important sur la sécurité sociale applicable. En effet, s’il télétravaille à l’étranger au moins 25% de son temps, la sécurité sociale belge n’est plus d’application.

Des mesures exceptionnelles destinées aux travailleurs frontaliers ont été adoptées pendant la crise du Covid-19. Elles restent valables jusqu’au 31/12/2021.

Télétravail hors de l’UE

Supposons qu’un collaborateur souhaite télétravailler dans un pays situé hors UE : il faut vérifier si la Belgique et le pays concerné ont signé une convention portant sur la sécurité sociale applicable. Notre pays en a conclu plusieurs. Ces conventions permettent (sous certaines conditions) de rester assujetti à la sécurité sociale belge et d’exporter certains des droits sociaux belges à l’étranger.

Un collaborateur qui télétravaille dans un pays tiers avec lequel la Belgique n’a pas de convention de sécurité sociale ne relève plus de la législation belge. Sauf si le télétravail ne dure pas plus de 6 mois et que le collaborateur le signale à l’ONSS.

Autres formalités en matière de sécurité sociale

Si un collaborateur télétravaille simultanément depuis plusieurs pays, il doit introduire une demande de formulaire A1 en cas d’occupation simultanée au sein de l’UE, ou de « Certificate of Coverage » en cas d’occupation simultanée en Belgique et dans un pays hors UE. Cette dernière demande doit s’effectuer dans l’État de résidence, lequel détermine quelle sécurité sociale est d’application.

S’il ne séjourne ou ne réside pas dans le pays où il est assuré socialement, un collaborateur sera peut-être contraint de demander une carte européenne d’assurance maladie ou un formulaire S1 prouvant qu’il a droit à des soins de santé.

Demandez-vous également s’il n’est pas opportun de transmettre aux autorités locales des informations spécifiques. Nous faisons référence à la déclaration Limosa en Belgique, par exemple. En effet, ne pas signaler certains éléments à temps peut entraîner des sanctions, même à l’étranger.

L’assurance accidents du travail couvre-t-elle le télétravail ?

Comme indiqué, en tant qu’employeur, vous avez l’obligation de valider le télétravail et le lieu où il s’effectue. Veillez dès lors à vérifier au préalable s’il est couvert par l’assurance accidents du travail. Le télétravail effectué depuis le domicile situé en Belgique l’est généralement. Le télétravail à l’étranger n’est quant à lui pas souvent couvert automatiquement. Vous devrez peut-être étendre la couverture.

Immigration

Si un collaborateur télétravaille à l’étranger, mieux vaut vérifier qu’il ne doit pas avoir de permis de travail ou de séjour. Le problème ne se pose pas pour les citoyens européens actifs sur le territoire de l’UE. Pour les ressortissants de pays tiers ou les citoyens de l’UE télétravaillant hors UE, un tel permis sera généralement exigé.

Si un collaborateur télétravaille à l’étranger, mieux vaut vérifier qu’il ne doit pas avoir de permis de travail ou de séjour.

Quid de la fiscalité ?

Pour le travailleur

Si, en tant qu’employeur, vous autorisez un collaborateur qui réside en Belgique à télétravailler à l’étranger (selon la définition du droit du travail, cf. ci-dessus), la durée du télétravail sera déterminante pour l’imposition finale dans le chef de ce collaborateur.

En principe, l’impôt est dû dans le pays où le travail est effectué. Toutefois, si le collaborateur télétravaille à l’étranger moins de 183 jours/an ou au cours d’une période non nécessairement consécutive de 12 mois (en fonction de la convention de double imposition applicable), l’imposition continuera généralement à être prélevée en Belgique en tant que pays de résidence.

La durée du télétravail n’est toutefois pas la seule condition déterminante pour l’imposition. Ainsi, si le salaire est payé par un employeur établi en Belgique, l’imposition continuera à être effectuée par notre pays. Elle ne peut donc pas être à charge d’un employeur (ou d’un établissement stable de l’employeur) situé dans le pays où l’employé télétravaille.

Signalons par ailleurs qu’il est important que le collaborateur conserve son domicile fiscal en Belgique pendant la période de télétravail à l’étranger. S’il ne télétravaille dans un autre pays que pendant de courtes périodes, la résidence fiscale belge n’est en principe pas rompue.

Le télétravail à l’étranger s’étend sur une longue période ? Dans ce cas, mieux vaut vérifier si le collaborateur est considéré comme résident fiscal, sur base de la législation du pays de télétravail. Il est possible qu’il soit considéré comme ayant une double résidence fiscale (Belgique + pays de télétravail). Le collaborateur court alors le risque d’être imposé deux fois sur tout ou partie de ses revenus. C’est particulièrement vrai pour les pays avec lesquels la Belgique n’a pas conclu de convention préventive de double imposition.

Si le collaborateur télétravaille plus de 183 jours à l’étranger ou si le domicile fiscal est déplacé à l’étranger en raison de télétravail long ou régulier, sachez que le salaire équivalent à ces prestations de télétravail à l’étranger est imposé.

Pour l’employeur

En cas de télétravail prolongé ou régulier de collaborateurs à l’étranger, vous vous exposez en tant qu’employeur au risque qu’un établissement stable de votre entreprise (belge) soit créé dans le(s) pays concerné(s). Évaluez ce risque avant d’autoriser le télétravail depuis un « bureau à domicile » situé à l’étranger.

Votre société (belge) est soumise à l’impôt des sociétés de l’État d’emploi dès lors qu’un établissement stable est créé. Cette mesure soulève la question de la répartition des bénéfices et de la manière d’éviter la double imposition. Si l’établissement stable se situe dans un pays avec lequel la Belgique n’a pas conclu de convention préventive de double imposition, des frais supplémentaires peuvent être imputés.

Même si l’existence d’un établissement stable imposable est exclue par le fisc étranger, il importe de vérifier si le pays de travail ne considère pas le lieu de travail comme établissement étranger, sur base de sa législation fiscale. Si c’est le cas, cela ne doit pas entraîner de taxes supplémentaires, bien que le risque de formalités et de frais supplémentaires existe. Citons par exemple l’obligation pour les entreprises étrangères ayant un établissement dans notre pays d’introduire une déclaration nulle à l’impôt des non-résidents, de s’affilier à un fonds d’assurance sociale ou de garantir le paiement de la cotisation annuelle à charge des sociétés.